Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : révision du protocole ALARM, communication en ligne des résultats médicaux, intérêts des debriefings systématiques dans les services d'urgence, taxonomie des erreurs de communication conduisant à des EI, progrès en cancérologie, EI dans les examens de bilan médical, point sur la crise de financement de la santé aux États-Unis...
Un cortège d’auteurs internationaux sous la direction de Charles Vincent nous propose une révision du célèbre protocole ALARM - appelé aussi protocole de Londres - , originellement publié en 2004 par Charles Vincent et ses collègues pour l’analyse des accidents et incidents médicaux.
Les auteurs expliquent les raisons de cette révision rendue nécessaire par l’évolution de la médecine et du contexte général de la santé, et plus encore par le retour d’expérience de 20 ans accumulé par l’emploi à grande échelle de cette méthode. L’article est en accès libre et mérite d’être téléchargé et connu de tous les préventeurs de risques médicaux.
Les principaux changements proposés sont :
Les publications sur la sécurité du patient, notamment celles sur l’analyse des événements indésirables (EI) restent très insuffisamment standardisées pour les définitions employées, les méthodes de recueil, de filtrage et d’analyse, au point de considérablement limiter toute comparaison et agrégation de données, réduire la pertinence des revues de littérature et méta- analyses, et sur le fond réduire la connaissance et les progrès en la matière de sécurité.
L’initiative EQUATOR (Enhancing the Quality and Transparency of Health Research), portée par des auteurs américains, italiens, et suédois a ainsi indexé 600 guides existants en matière d’analyse des activités médicales, dont beaucoup portent justement en totalité ou en partie sur le risque/prévention d’EI, de presqu'accident, et d’erreurs médicales.
L’initiative EQUATOR a analysé en parallèle quels éléments clés devraient être mieux standardisés dans ces guides en lien avec le recueil et l’analyses d’EI et a publié un document regroupant ces éléments sous le nom de SESAME (Standard Elements in Studies of Adverse Events and Medical Error).
À titre d’exemple, les auteurs ont pris 12 guides d’analyses d’EI existants provenant d’organismes nationaux ou professionnels et constatent que tous sont très peu standardisés et que 5 de ces 12 guides ne contenaient même pas un seul des critères préconisés dans SESAME, rendant toute comparaison impossible entre études.
Les analyses d’événements indésirables conduisent (trop) souvent les investigateurs à considérer "un coupable" en fonction de la conséquence de l’événement sur le patient ou d’autres facteurs qui n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité de l’histoire médicale proprement dite. C’est à l’évidence un biais d’analyse affectant beaucoup d'expertises médicales. Ces auteurs anglais analysent ce biais.
L’étude procède avec des mises en situations de 212 personnes réparties en trois groupes (investigateurs usuels des événements indésirables (EI) - i.e qualiticiens, représentants de patients, et professionnels de santé) qui interagissent sur 3 vignettes racontant un incident. Ils manipulent la conséquence sur le patient pour chaque récit. Les participants sont interrogés sur l’évitabilité, la responsabilité, et sur les recommandations pour éviter que cela se reproduise (limitées à 5).
L’augmentation des conséquences de l’événement indésirable (ERi) sur le patient majore systématiquement le jugement de responsabilité et la demande de sanction pour le(s) professionnel(s) concerné(s) dans l’histoire de l’EI.
Pour autant, il n’existe pas de lien explicite entre majoration des conséquences pour le patient et jugement d’évitabilité de l’EI, provoquant ce sentiment que pour la majorité des personnes interrogées, le simple fait d’avoir des conséquences néfastes pour le patient fait estimer que la situation était toujours évitable.
Enfin le fait d’être plus expert dans le domaine de la sécurité du patient (qualiticiens ou autre professionnel engagé sur le domaine) réduit à peine les biais de jugement mentionnés précédemment.
L'accès aux dossiers en ligne, y compris aux résultats des tests, a été mis en place dans le cadre des changements apportés au contrat des médecins généralistes en Angleterre en 2023.
On imagine facilement que cette communication des résultats des tests sanguins est importante à la fois pour le patient, la sécurité des actes à suivre, et la charge de travail. Des preuves sont toutefois nécessaires pour s'assurer que les résultats des tests sont communiqués aux patients de manière sûre et efficace dans le cadre des soins primaires.
Ces auteurs anglais proposent une revue de littérature sur le sujet.
Sont incluses, toutes les publications de janvier 2013 à septembre 2023 proposant des études qualitatives ou quantitatives qui fournissent des informations sur la communication des résultats des tests sanguins par le personnel de soins primaires aux patients adultes et aux soignants.
Au total, ce sont 71 études incluses, dont 10 études expérimentales et aucun essai contrôlé randomisé.
La qualité des études est généralement médiocre et le risque de biais élevé, en partie à cause du manque d'informations rapportées. Les études ont montré que les patients souhaitent obtenir davantage d'informations sur les résultats de leurs analyses sanguines, notamment en ce qui concerne la suite à donner, et qu'ils préfèrent que les résultats leur soient communiqués rapidement. Les méthodes électroniques, telles que l'accès en ligne ou les SMS, sont généralement bien acceptées, mais pas par tout le monde, et pas pour tous les résultats.
Les avis des cliniciens restent partagés sur la question de savoir si la communication directe en ligne - automatique et sans intermédiaire - des résultats des tests aux patients est bénéfique ou si elle peut poser des problèmes, notamment l'augmentation de l'anxiété des patients et l'alourdissement de la charge de travail.
Toutes ces données sur les préférences des patients et des cliniciens sont importantes dans le contexte actuel où l’autorité de santé britannique souhaite cet accès en ligne pour les patients.
Les débriefings systématiques journaliers sont reconnus pour leurs vertus en matière de travail d’équipe, et de bénéfice pour la sécurité du patient. Ils peuvent prendre place à des moments récurrents de la journée, ou être dirigés par la survenue d’événements indésirables (EI). L’analyse proposée compare la qualité et l’usage de ces debriefings routiniers dans deux services d’urgence belges.
L’étude porte dans le détail sur 90 débriefings standards récurrents et 263 débriefings après incidents.
Les deux types de briefings sont différents dans leur contenu. Les débriefings standards parlent plus du travail d’équipe, de sa répartition, de sa coordination, et des procédures à gérer alors que les débriefings à la suite d’incidents sont plus centrés patients, technique de soins, et flux de travail.
Ces résultats confirment l’intérêt des deux approches.
Ces auteurs du bureau central de sécurité du patient du réseau des Vétérans aux États-Unis proposent une méthode systématique pour identifier et classer les différents types d'erreurs de communication conduisant à des événements indésirables (EI).
L’approche utilise la méthode Delphi pour proposer une taxonomie des erreurs de communication en se basant sur les données des dossiers patients de la Veterans Health Administration recueillis entre avril 2018 et mars 2021. 9 types d'erreurs de communication sont identifiées.
Les trois principales catégories sont liées :
Les autres catégories de communication concernent les erreurs liées à l’électronique (29,6%), aux ambiguïtés du contenu verbal (7,8%), de transfert (4,7%), visuelle (72,9%), d’écoute (1,6%) et enfin aux erreurs non verbales - attitudes, gestes - (1,5%).
Le taux de patients des services d'urgence qui quittent le service sans avoir été vus (par un médecin) est un indicateur de qualité communément rapporté qui a augmenté aux États-Unis en même temps que le Covid-19. On ne sait cependant pas exactement quelle proportion de patients quitte le service malgré un besoin médical aigu.
Cette étude de cohorte rétrospective conduite à Boston porte sur les patients adultes qui se sont présentés entre le 1er janvier 2019 et le 1er janvier 2023 dans 10 services d'urgence et cherche à estimer les taux de retour de ces patients qui quittent ces services d’urgence sans consultation par rapport aux patients qui sont évalués et quittent le service avec un avis médical dûment documenté.
L’analyse prend en compte les visites de retour à 72 heures et à 30 jours, y compris l'admission à l'hôpital ou à l'USI, et la mortalité à 30 jours.
Au total, sur 1 474 395 visites sont incluses, 17 523 (1,2%) étaient des visites sans prise en charge aucune. Ces patients finalement "non vus" par un médecin étaient plus jeunes (48,1 ans vs 44,8 ans, p<0. 001), appartenant plus à des groupes sociaux défavorisés, plus susceptibles d'être d'origine hispanique (p<0,001), plus susceptibles d'avoir besoin d'un traducteur (p<0,001).
Indépendamment d'autres variables cliniques et démographiques, ces patients "non vus" s’associent à des retours plus fréquents dans les 72 heures (OR] 2,56 [2,50-2,62]), à des admissions d’urgence à 30 jours (OR 1,35- 1,27-1,66]) et à une plus grande mortalité (AOR 2,58 - 1,90-3,53]).
Malgré les réglementations nationales aux États-Unis déjà anciennes (2003) sur la limitation du temps de travail pour les chirurgiens américains, particulièrement pour les internes et assistants, la réalité du terrain reste difficile et les dépassements horaires demeurent la norme.
Ces auteurs de la côte ouest américaine ont conduit en 2021-2022 une étude qualitative avec la mise en place d’une logique de lean management appliquée à la gestion des stages d’internes sur 5 hôpitaux régionaux de l’ouest des États-Unis.
L’analyse porte sur ce travail de lean effectué avec 29 internes en leur demandant une amélioration continue de la qualité pour identifier tout obstacle au respect de leur temps de travail.
Avec l’aide de ce processus participatif, les effectifs d’internes dépassant les 80 heures par semaine (limite réglementaire) se sont réduits en 2 ans de 10,2% avec une conformité du temps de travail à l’issue pour plus de 88% des internes. Les causes des dépassements étaient diverses allant de la pression de la demande, jusqu’à des aspects culturels et/ou liés aux organisations des services. Quinze solutions d’améliorations multifactorielles proposées par les internes se sont révélées fonctionnelles, touchant tant aux critères d’appel qu’aux organisations locales de présence.
La médecine moderne utilise un nombre croissant et de plus en plus techniques d’examens médicaux à titre de bilan systématique ou orientés par une cause suspectée. Ces examens ne sont pas sans risques.
Cette équipe sud-coréenne analyse 213 EI survenus entre 2017 et 2022 dans ce cadre. Plus de la moitié de ces événements indésirables (EI) ont eu des conséquences pour le patient.
Les risques sont paradoxalement plus grands quand l’examen est fait en heure ouvrable, dans les "bons" locaux, à l’hôpital (dans des grands hôpitaux de plus de 500 lits), chez des patients de plus de 50 ans (lien à l'âge, P =.023), par contre sans effet de sexe.
Pour le dire autrement, les conditions de soins favorables ne suffisent pas à éviter les incidents, elles peuvent même les favoriser (pression de la demande, sentiment de banalisation…).
Les principaux problèmes sont les actes comportant des injections/prélèvements, les actes d’anesthésie/sédation de tous ordres, et les risques infectieux et blessures directes.
L’analyse porte sur la contribution des différentes interventions de prévention, d’examens de détection précoce, et de traitement dans le nombre total de décès évités pour les cancers - poumon, sein, prostate, colon, utérus - sur une période de 45 ans (1975-2020).
On sait que la mortalité a diminué, mais on ne sait pas exactement la contribution de chaque grande catégorie d’outils pour ce faire (prévention, détection précoce, traitement).
Ce sont au total 5,94 millions de décès par cancer aux États-Unis qui ont été inclus sur cette période de 45 ans.
La prévention et le diagnostic précoce ont été effectifs pour éviter ou reculer les décès pour 4,75 millions de ces cancers. Les effets varient selon les sites :
Ces résultats sont bons, mais restent encore à améliorer, sans doute en attente de nouvelles innovations de détection et thérapeutiques.
Le numéro de décembre de la revue Health Affairs contient de nombreux articles sur le fonctionnement du remboursement des soins de santé, et le fonctionnement des assurances aux États-Unis.
Parmi les sujets abordés figurent les pratiques de codage qui affectent l'ajustement des risques, la concurrence sur le marché d’assurance avec le concept de Medicare Advantage (MA), et les taux de paiement des prestataires assumés par les plans du marché de l'Affordable Care Act (ACA).
Cette synthèse résume les principales idées à retenir.
Environ deux tiers de l'augmentation de 41 % observée entre 2011 et 2019 des coûts médicaux codées en sorties des patients par les hôpitaux américains est liée à des pratiques de surcodages, particulièrement pour les prestations de santé les plus chères.
Inversement, les prestations en lien aux maladies chroniques sont plutôt sous-codées, car bien plus disparates et difficiles à saisir.
Il existe un paradoxe apparent sur le marché de l'assurance maladie américaine avec d’une part une concentration croissante des plans (de soins et remboursement) par l’état national, et d’autre part une concurrence accrue au niveau local.
En utilisant les données du programme Medicare pour la période 2012-2023, les auteurs expliquent que lorsque la pénétration de l'assurance maladie (obligatoire) sur un marché est faible, la concurrence entre les régimes est relativement forte, mais que lorsque la pénétration augmente, les consolidations et les acquisitions réduisent la concurrence. La croissance continue de l'assurance maladie laisse présager des marchés locaux d'assurance maladie moins compétitifs à l'avenir.
À partir des données de la National Association of Insurance Commissioners, les auteurs montrent qu'en 2022, les assureurs santé gèreront les prestations de 118 millions d'employés et de personnes à charge par le biais de contrats de services administratifs uniquement (ASO). Dans ce contexte les trois plus grands prestataires de services administratifs d’assurance représentent plus de 60% du marché et leurs bénéfices par personne inscrite dépassent ceux des plus petits prestataires.
L'introduction d'un facteur d'inflation dans le Medicare Physician Fee Schedule est un facteur clé à comprendre. S'appuyant sur un "paradigme incitatif" conçu pour optimiser les résultats efficaces, par opposition aux paradigmes de l'équité ou des coûts, on peut montrer comment les différentes options de mise à jour de l'inflation interagissent sur l'accès des patients aux prestataires et sur les incitations pour les médecins à se regrouper. En 2021, plus de vingt millions d'américains bénéficiaient d'une couverture d'assurance maladie très locale et partielle, un domaine pour lequel la santé financière des assurances est en difficulté. En 2019, l'Oregon a dû par exemple limiter les paiements hospitaliers dans son plan de santé pour les employés de l'État à 200% des taux de Medicare.
Dans la suite du point précédent, une cinquantaine d'hôpitaux ruraux américains ont fermé entre 2022 et 2024, dans le cadre d'une crise plus large de l'accès aux soins de santé en milieu rural.
Le sentiment prévalent chez les experts est qu’une plus grande attention doit maintenant être apportée à la manière dont les fonds publics sont utilisés pour soutenir les hôpitaux ruraux et à la manière dont les marchés ruraux consolidés sont réglementés pour garantir l'accès à des soins de haute qualité et abordables pour les résidents ruraux.
Il y a eu une belle croissance des officines pharmaceutiques aux États-Unis entre 2010 et 2020, mais près d'un tiers de ces pharmacies de ville avaient refermé en 2021, le recul ayant commencé en 2018, particulièrement dans les quartiers défavorisés.